Il aurait été plus facile de les régulariser

(Ici traduction en DEUTSCH, ENGLISH, ESPANOL, ITALIANO)

Le 21 avril 2023, on a reçu 2 messages d’une amie Astrid Schreiber activiste à Mùnchen, et d’Ebs, un camarade militant du réseau AEI (Afrique-Europe-interact/ APS : Alarm Phone Sahara). Ces messages contenaient des lettres notifiant une alerte : des auditions pour l’identification des sénégalais-es qui vivent en Bavière. À notre connaissance, ces méthodes d’identification ont souvent pour but des déportations. En 2021, en fait, ce même dispositif avait occasionné la déportation de Munich de 14 Sénégalais par un vol charter.

Nous, Boza fii (Benn kàddu – Benn yoon), sommes une association sénégalaise qui s’engage dans le domaine de la fuite et de la migration. Quand on a reçu l’information, nous avons premièrement alerté le collectif des associations et acteurs de la migration au Sénégal, puis nous avons aussi contacté certaines personnes qui vivent en Allemagne, plus particulièrement à Munich, pour leur avertir de la gravité de la situation.
C’est ainsi que nous avons entamé des procédures pour lutter contre ce dispositif. Malheureusement lutter contre des structures puissantes n’est pas facile car nous avons toutes les difficultés pour rencontrer ou même avoir un espace de communication avec les autorités. Néanmoins nous avons essayé de lancer une manifestation devant l’ambassade allemande pour protester contre les auditions qui ont la fonction de préparer des déportations. Malheureusement, la manifestation n’a pas pu avoir lieu à cause d’un manque d’autorisation.
Puis, nous avons écrit une lettre de protestation que nous avons envoyée au Ministère des Affaires Étrangères, à la Direction des Sénégalais de l’Extérieur, à l’Ambassade d’Allemagne de Dakar et à l’Ambassade du Sénégal à Berlin. Et il n’y a que l’Ambassade du Sénégal à Berlin qui nous a répondu, mais pour nous dire que nous nous sommes trompés d’adresse. Ce qui signifie qu’ils n’ont même pas eu la peine de lire la lettre.
Tout au long de cette procédure, nous avons aussi reçu l’information qu’un vol de déportation allait quitter Munich/München pour le Sénégal le 3 mai. Nous nous sommes donc renseignés sur ce vol et une équipe de Boza fii s’est rendue à l’aéroport international Blaise Diagne au Sénégal pour attendre l’arrivée des personnes expulsées.
La compagnie aérienne qui a été payée pour le vol charter est Sundair et le vol avait le code SDR88DD (qui est d’ailleurs le code utilisé aussi pour des vols de déportation envers la Turquie). Sundair est une compagnie aérienne charter allemande dont le siège est à Stralsund et elle est basée à l’aéroport de Berlin Tegel, l’aéroport de Brême, l’aéroport de Dresde et l’aéroport de Kassel. Depuis des années elle est complice de nombreux vols de déportation de l’Allemagne. L’avion était un airbus A320.

A bord, ils se trouvaient 13 Sénégalais, accompagnés par des dizaines de policiers allemands. Chaque déporté était encerclé sur l’avion par 4 policiers, deux sur les sièges devant, 2 derrière. Donc il y avait au moins 52 policiers à bord. Les déportés étaient menottés pendant le vol, même quand le repas est arrivé. Une personne en particulier, qui est psychiatrisée, a été ligotée même aux pieds et on lui a mis un casque de moto avec la visière baissée.
Quand ils sont débarqués au Sénégal, il y avait que les gendarmes sénégalais à les accueillir. Et c’est seulement à ce moment-là qu’on a donné à chacun un « Sauf-conduit valable pour un voyage ALLER à compter du passage de la frontière ». Ces sauf-conduits, qui datent le 18 avril 2023, ont été produits par l’Ambassade Sénégalaise en Allemagne à Berlin. Ces documents ont été faits sans qu’aucune des personnes concernées l’ait demandé, ou en était au courant. En plus, les déportés ont eu connaissance de l’existence de ces documents de voyage qu’à l’arrivée au Sénégal.

Aucun officier ou porte-parole de la délégation du Ministère des Affaires Étrangers et de la Direction des Sénégalais de l’Extérieur était présent à l’aéroport. Si pour le vol de rapatriement organisé de la Tunisie par l’état sénégalais, une accueille avait été prévue, dans ce cas il a eu un total abandon institutionnel. Et pourtant le Ministère était informé du vol.
Personne au niveau institutionnel n’a pris en charge leurs besoins, même pas les plus immédiats : on ne les a pas donné de l’eau, ni d’argent de poche pour payer le transport vers leurs domiciles, ni des cartes téléphoniques ni la possibilité de prévenir leurs parents.

La plus part des personnes déportées avaient été attrapées le jour d’avant dans la rue, mis en prison sans téléphone dans l’attente du vol, sans pouvoir alerter quelqu’un-e ni avoir la possibilité de récupérer les choses accumulées durant des années et souvent décennies.
En outre, dans l’avion, le policier responsable du vol a donné des brochures d’un projet allemand d’aide aux rapatriés dénommé « Dalal Jam ». Dans la brochure on parle d’une maison d’accueil à Dakar, qui est fermé depuis mars. Le fait de dire qu’on peut s’appuyer sur un service qui n’existe pas donne des faux espoirs et risque de faire gaspiller des ressources précieuses, même économiques, à des gens déjà beaucoup fragilisées.
En tant que Boza Fii, on a cherché d’intervenir pour le mieux qu’on a pu avec nos ressources et moyens financiers, qui sont très faibles par rapport aux états et aux ONG qui bénéficient de l’aide internationale. Nous avons aidé les personnes déportées à contacter leurs familles, à prendre des transports pour rentrer chez eux, à se repérer dans cette arrivée hyper violente au pays natal. Et on est maintenant en train d’héberger auprès de notre siège trois personnes qui nous l’ont demandé. A l’aéroport nous nous sommes rendus disponibles à soutenir chacun dans leur réinsertion dans la vie sénégalaise, dans leurs projets futurs en matière de migration et dans leurs demandes ou protestations auprès des institutions ou des organismes qui ont failli à respecter, avant même de défendre, leur droits.
C’est aussi pour cette raison que le vendredi 05 mai, une délégation de Boza fii et les trois personnes déportées qu’on est en train d’héberger chez nous se sont rendus auprès de la Direction des Sénégalais de l’Extérieur pour informer les autorités des détails de ce qui c’était passé et demander des informations de leur part. La Direction nous a dit qu’elle a lu notre lettre le quatre mai (4), donc le lendemain du jour de la déportation et qu’on aurait dû aller en parler avec eux avant de s’adresser directement aux institutions par écrit. Par rapport au fait que la Direction était absente à l’aéroport, ils ont dit que c’était une exception, et qu’ils ont eu des complications qu’ils n’ont pas précisées.

La Direction a fait recours à une caisse d’aide et a donné 150 euro à chacun des déportés présents. Les responsables leur ont dit de s’adresser au service BAOS (Bureau d’Accueil et d’Orientation, et de Suivi), car il y a beaucoup de projets et des financements, voire des emprunts, auxquels ils pourraient faire recours, mais pour le faire ils ont données des brochures sur un projet sur le « Renforcement de la gouvernance inclusive de la migration » qui est terminé depuis février 2022. Ils ont dit aussi qu’ils vont consulter le Ministère de la Santé pour voir si la personne qui souffre d’une maladie mentale peut être prise en charge. On pourrait se demander si cela peut réparer la violence que l’Etat sénégalais a laissé se produire envers ses citoyens dans le silence et l’inaction, à savoir par la complicité.
Nous, on considère que ce qui s’est passé avec cette déportation est quelque chose d’intolérable et qui devrait intéresser tout le monde car c’est la énième épisode dans la longue liste de comment la forteresse Europe exerce son racisme, sa violence xénophobe et son colonialisme d’exploitation. Comme la mère d’un des rapatriés qu’on a rencontré pendant ces jours nous a dit « Ils nous chassent comme des chiens ». Mais aussi, comme l’a remarqué une des personnes déportées lors de la rencontre avec la Direction des Sénégalais de l’Extérieur, ce qui fait le plus mal c’est d’avoir vu que notre propre Etat a pris parti dans cette histoire. En plus, les personnes déportées maintenant n’ont pas de moyens de pouvoir récupérer l’argent qu’ils ont laissé dans leurs comptes bancaires en Allemagne.
On veut donc partager des récits des personnes qui ont été déportées, car leurs histoires indiquent des graves violations des droits humains et les effets de la violence structurelle que le régime raciste européen des frontières impose aux Africain-e-s. Parmi les personnes déportées, il y a même des sujets vulnérables et des personnes qui étaient en règle avec leur permis de séjour. En remarquant ça, on veut aussi souligner que dans nos yeux le droit de migrer et de rester est un droit inviolable, et que personne ne doit être criminalisée pour cette raison. Alors que dans cette histoire il y a eu que de la criminalisation : prison et menottes juste pour le fait de ne pas avoir, et même d’avoir, les papiers en règle.

– Une personne a été arrêtée le jour d’avant le vol. Sa carte de « Duldung » (un document de tolérance renouvelable de 3 à 6 mois) de trois mois avait expiré le 26/4, mais il était en Allemagne depuis 10 ans. Il était donc parti le 2 mai, après le travail, tout en ayant un contrat de travail qui est encore en cours, pour aller au service d’immigration (Ausländerbehörde) et renouveler son permis. En ce moment, les officiers ont appelé la police et lui ont dit « tu vas rentrer au Sénégal ». Vers 16 h on l’a ramené chez le juge et vers 17 h on l’a mis en prison. Il n’a même pas pu rentrer chez lui prendre ses choses. Il est débarqué au Sénégal avec juste un petit sac cassé.

– Une autre personne a été arrêtée à la maison. Deux policiers ont débarqués chez lui le soir du 2, ils l’ont menottée et ils l’ont emmené en prison.

– Une autre personne, depuis 25 ans d’émigration en Allemagne, avait ses papiers en règle, chose que lui avait permis il y a deux mois de pouvoir voyager au Sénégal et revenir. Il dit que « sa faute est de ne pas avoir déclaré sa nouvelle adresse de résidence ».

– Une autre personne a été attrapée à l’arrêt du bus, l’après-midi du 2 mai. Son Ausweis Duldung allait expirer le lendemain et il avait déjà son rendez-vous fixé pour le lendemain. Il a été emmené au tribunal dans l’urgence, et il n’a pas pu prévenir son avocat.

– Une autre personne a été prise dans la structure de détention pour des personnes psychiatrisées, où il était depuis des années. Il est sous traitement médical dont il dépend pour sa vie. Il a été envoyé à l’aéroport sans qu’il ait pu consulter un docteur. Avant de quitter la structure on lui a injecté, à la présence de deux policiers, un nouveau médicament sans qu’il en connaisse le nom et les effets. Il est arrivé au Sénégal sans aucun dossier clinique, ni des médicaments suffisants pour les jours suivants, chose qui est en train de compromettre sa prise en charge médicale ici, d’ailleurs entièrement à payer. On ne lui a même pas rendu son téléphone, dans lequel il y a des numéros et des points de repères fondamentaux pour sa vie et pour son futur, car il souffre de perte de mémoire, sa famille est en Italie et il n’a plus aucune pièce d’identité.

Après une analyse de la situation, on a constaté que les deux lettres que nous avons reçues étaient pour des auditions qui très probablement ont comme but de préparer des autres déportations dans le futur et que les personnes qui ont été expulsées cette fois-ci sont les victimes d’identifications antérieures en 2021 et en 2022. Il semble que c’est du hasard que le vol de déportation a coïncidé avec les auditions. Une autre audition est prévue à Munich/München le 11 Mai et concerne les Sénégalais et les Gambiens.

De toute façon nous continuerons à faire de notre mieux pour informer les potentiels victimes (Sénégalais en Allemagne) pour qu’ils ou qu’elles cherchent des solutions pour éviter ces déportations.

Et nous continuerons à lutter contre toutes sortes d’expulsions qui finalement sont toutes dues au racisme structurel.

Ce qu’on veut dénoncer et demander haut et fort est :

Plus des déportations contre lesquelles nous continueront à lutter;
Plus d’accord formel et informel entre les états africains et les états européens pour légitimer, faciliter, encourager et participer aux déportations et aux processus de criminalisation des personnes migrantes en Europe;
Pleine transparence sur les accords entre états en matière de migration;
Liberté de circulation pour tou-te-s ;
– Respect des droits humains et égalité de droit.

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