Nos rêves auraient dû être réel, mais ils se sont transformés par les pires de nos cauchemars
Mb Nd**, A Nd**, Y Nd**, A Kh K**, 4 personnes parmi les 168 ??? (184) migrants sénégalais dont un (1) Gambien et 15 mineurs non accompagnés, tous des garçons victimes du push back de la part de la Guardia civil espagnol et de la marine nationale sénégalaise ont témoigné de leur interception en mer.
Ils sont partis le 21 août aux environs de 5h du matin, de Joal-Fadiouth une commune du Sénégal située à l’extrémité de la Petite-Côte, au sud-est de Dakar. Les migrants qui voyageaient au bord de la pirogue n’étaient pas seulement des habitants de Joal, mais aussi des villes de Kaolack, Touba, Gandiol, Saint-Louis et Palmarin. Quatre personnes parmi les passagers de la pirogue ont accepté de témoigner. Ils affirment qu’ils n’avaient plus d’espoir d’avoir une vie stable, et de quoi garantir le minimum pouvant leur permettre de vivre décemment ici au Sénégal. Le niveau de vie exorbitant et la situation sociale au Sénégal ne leur a pas laissé le choix de partir bien qu’ils aient essayé d’exercer différentes activités économiques.
D’après Mb Nd**, de nombreuses personnes parmi eux n’ont jamais eu de contact direct avec l’organisateur du départ. Le lien entre les passagers et les organisateurs du départ en pirogue se faisait par l’intermédiaire de coxeurs (facilitateurs), à qui ils ont versé l’argent de la traversée. Ces facilitateurs devaient également partir avec eux au sein de la même pirogue. Les modalités de payement n’étaient cependant pas les mêmes pour tout le monde selon A Nd**. Cela a été confirmé par les témoignages d’autres personnes qui étaient à bord de la pirogue. Pour A Nd**, la somme à payer par les passagers différait selon la maîtrise de la mer des passagers. Par exemple, les pêcheurs comme lui payaient une somme différente de celle des organisateurs et des autres passagers.
Pourquoi ce sont les espagnols qui surveillent nos côtes
A Nd** nous partage son récit, du départ au large du Sénégal jusqu’au processus d’interception de la Guardia Civil. Selon A Nd**, quand ils naviguaient dans les eaux sénégalaises un avion de la Gardia civil espagnol les survolait déjà en se rapprochant de près de leur pirogue. Le premier jour, ils l’ont aperçu quand ils étaient près des côtes de Saint-Louis au nord du Sénégal. Le deuxième jour, c’est près des côtes de la Mauritanie que le même avion blanc avec une bande verte au milieu et un drapeau de l’Espagne sur l’aile arrière les survolait puis repartait. Le troisième jour l’avion est apparu une fois de plus et est reparti subitement précise A Nd**.
Il ajoute, « C’est au 4e jour de notre voyage (le 24 août) quand nous étions près des côtes de Nouadhibou en Mauritanie que l’avion est revenu une nouvelle fois et nous a survolés de plus près. Quelques heures plus tard, nous avons aperçu le bateau de la Gardia Civil qui se dirigeait vers nous pour nous intercepter. Le capitaine de la pirogue n’a pas voulu s’arrêter et nous étions tous de son avis. Il a donc insisté en essayant de continuer son chemin. Par la suite, l’équipage de la Gardia Civil a descendu un canot en mer comme leur bateau été trop grand pour nous barrer la route. Quand le canot s’est rapproché de nous, ils nous ont demandé de nous arrêter et de couper le moteur. Ils nous ont dit qu’ils allaient appeler leurs supérieurs pour leur demander s’ils devaient nous emmener en Espagne ou nous retourner au Sénégal. Après presque plus d’une heure d’attente, ils nous ont dit qu’ils allaient nous emmener en Espagne. Suite à cet échange, nous avons finalement accepté de monter sur le grand patrouilleur Rio Tajo de la Gardia civil. Ils nous ont ensuite évacués par groupe de 10 personnes en nous ordonnant de laisser toutes nos affaires dans la pirogue. Après être tous monté dans le bateau, un agent de l’équipage de la Gardia civil a demandé à une personne parmi nous de compter l’effectif. Comme souvent certaines personnes se cachaient, le compte était un peu difficile et je pense que c’est ça qui amené la différence de chiffres.
« Je pense que nous étions 184 au lieu de 168 » dit Ab Kh** ».
Al poursuit, « On nous a confisqué nos téléphones portables et ils nous ont menottés avec des colliers de serrage en plastique. Au même moment, deux personnes parmi nous ont été torturés, ligotés et puis isolés par les garde-côtes espagnols. Les Espagnols les soupçonné d’être les chefs, car durant toute l’opération de sauvetage, c’était eux qui géraient la communication avec les agents de la Gardia civil et les passagers de la pirogue. Dans la nuit du 24 août, une autre personne parmi nous a aussi été isolée et ligotée. On l’a revue que le lendemain. Il essayait de nous parler, mais comme il parlait dans notre langue wolof les agents ont peut-être cru qu’il appelait à l’insurrection. C’est à ce moment le bateau a commencé à se déplacer et que nous avons commencé à nous demander si le bateau allait nous emmener en Espagne. Le 25 août, c’était notre deuxième jour sur le Rio Tajo. Ils nous ont donné à manger des biscuits et un peu d’eau juste quand on venait de monter sur le bateau. C’est par la suite qu’un autre agent du patrouilleur, qui n’était pas parmi ceux que nous avions vus à notre arrivée sur le bateau, s’est présenté à nous et nous a rassuré une deuxième fois qu’ils allaient bien nous emmener jusqu’en Espagne et qu’ils allaient nous trouver du travail là-bas. »
« C’était un autre moyen de nous calmer », ajoute Mb**.»
« Il n’avait pas l’intention de nous emmener en Espagne. Ils voulaient tout simplement nous distraire et gagner notre confiance. Lorsque nous avons compris que la communication des agents espagnols n’était pas claire, nous avons décidé d’arrêter de manger et de boire. Un autre membre de l’équipage qui nous semblait être un gradé est venu nous raisonner et nous a dit qu’il y avait un “mal tempo” que la météo est mauvaise et nous a montré le programme métrologique, donc quand la mer sera calme, ils nous débarqueront à Madrid. À ce moment-là, nous étions tous rassurés. Nous avons par la suite accepté de prendre leur nourriture. Tout cela s’est déroulé dans la nuit du 25. Nous sommes restés au calme dans le bateau le 26 et 27 août pour repartir le lundi 28 août. Le dimanche 27 la veille de notre départ de la Mauritanie les garde-côtes espagnols nous ont donné un de leur téléphone pour qu’on puisse appeler nos familles et leur dire que nous étions sur le bateau de la Gardia civil et qu’ils allaient nous emmener en Espagne. Lorsque le bateau commença à quitter les côtes mauritaniennes, à notre grande surprise, nous avons constaté que le Rio Tajo se dirigeait vers le Sénégal. À ce moment-là, nous étions tous bouche bée. Nous ne pouvions dire aucun mot. », nous explique A Nd**.
« Nous nous sommes sentis trahis et la déception… » ajoute Yo Nd** avec une voix écrasante, « J’avais l’impression de tous les voir réfléchir à leur avenir et à la situation dans laquelle ils retournaient au Sénégal. Pendant tout le trajet, une atmosphère de déception régnait dans le bateau. C’est le mercredi 30 matin aux environs de 10h au niveau des côtes St-Louiennes au nord du Sénégal en haute mer que les Espagnols nous ont transféré dans un bateau de la marine nationale sénégalaise, qui devait nous conduire jusqu’au port de Dakar. »
Ab Kh** revient sur son indignation et sur la manière dont ils ont été accueillis par leurs compatriotes sénégalais (marine nationale) qui ne leur ont pas donné accès à de la nourriture alors qu’ils étaient restés une journée dans le Rio Tajo sans manger.
« Les agents de la marine nationale nous ont en plus obligés à nous accroupir plus de 10h de temps sans nous lever. Quand quelqu’un se levait, car il ne supportait plus la position les agents lui criaient dessus pour lui dire de s’asseoir même s’il avait crampes dans les jambes. Ce jour même nous sommes restés à découvert sous la pluie pendant plus de deux heures de temps ». Nous confie Ab Kh**.
« À 20h nous sommes arrivés au port de Dakar et la marine nous a livré à la police qui nous a emmenés à la cité police pour nous ridiculiser et nous insulter. À la police, nous avons été enregistrés et entendus ».
Les passagers de la pirogue ont tous déploré la manière dont ils ont été traités par les policiers sénégalais lors de ces entretiens. Ces entretiens étaient réalisés dans le but de savoir qui étaient les organisateurs et les capitaines de la pirogue.
Le lendemain 31 août certains ont été libérés sans aucun accompagnement, sans aide financière pour leur transport et d’après les témoins beaucoup d’entre eux n’avaient pas d’argent et d’autres même ont marché pieds nus jusqu’à la gare routière pour demander la charité aux passants pour leur permettre de rentrer chez eux. Au même moment huit personnes parmi eux étaient retenues dans le cadre d’une enquête par la Division nationale de lutte contre le trafic de migrants et pratiques assimilées (DNLT) Ils sont poursuivis pour association de malfaiteurs, complicité de trafic de migrants par la voie maritime et mise en danger de la vie d’autrui. Ils devraient être déférés au tribunal de Dakar le 04 septembre. Ces derniers ont été accusés d’avoir contribué au départ de la pirogue. Aujourd’hui une personne parmi les huit a été libérée. Nous n’avons toujours pas de nouvelles des sept autres. Nous ne connaissons également pas encore leur sort.