Le 17 novembre dernier, les sénégalaises et sénégalais étaient appelés à voter pour élire pour cinq ans les 165 députés de l’Assemblée nationale. Les élections ont été convoquées de manière anticipée après la dissolution de l’assemblée par le président Diomaye Faye du PASTEF. En effet, son élection en avril 2024 lui imposait de gouverner avec l’ancienne législature de 2022, acquise au président sortant Macky Sall. La victoire est écrasante pour le PASTEF, qui remporte 130 sièges sur 165, et assure une majorité plus qu’absolue au président de la république pour appliquer son programme.

Mais au niveau de la question migratoire, qu’en est il ? Comment s’annoncent les cinq prochaines années en matière de politiques migratoires ? Quels sont les rapports de force au sein de la nouvelle Assemblée nationale sur ce sujet central pour de plus en plus de sénégalaises et de sénégalais ? Pour rappel, l’année 2023 a battu le triste record du nombre de personnes décédées en tentant de rejoindre les îles Canaries depuis les côtes sénégalaises – 6 007 décès selon Caminando Fronteras. Et il semble que l’année 2024 sera pire encore. De nombreux drames, comme celui de Mbour en septembre dernier, marquent les esprits et poussent à prendre des initiatives et adopter des politiques publiques pour sauver des vies en mer.

 

Cependant, vouloir prendre des mesures est une chose, prendre les bonnes en est une autre. Réduire les risques en empêchant au maximum les départs “irréguliers”, ou mettre fin à la criminalisation et chercher à ouvrir des voies de passage sûres ? Depuis une vingtaine d’années, l’Union Européenne (UE) a imposé des mesures répressives et sécuritaires ainsi que son récit à l’État du Sénégal sur les migrations dites “irrégulières”. Différents dispositifs d’externalisation des frontières européennes et de lutte contre les départs ont été mis en place. Cependant, le choix du départ est en réalité un non-choix : personne ne choisit de risquer sa vie ou celle de ces enfants pour migrer. Si les Sénégalais et les Sénégalaises (comme d’autres personnes d’Afrique de l’Ouest) prennent ces risques c’est parce que les voies légales de migration leur ont été refusées (visas) alors que tous les européens peuvent aller et venir à leur guise ; parce que leur ressources sont pillées par des acteurs extérieurs comme dans le domaine de la pêche. Ils prennent des risques pour exercer un droit qu’on leur a nié.  Ces causes sont-elles évoquées dans les discours politiques ou dans les programmes des partis qui composent la nouvelle Assemblée ? C’est ce que nous allons voir.

PASTEF

Fondé en 2014 par Ousmane Sonko, les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité (PASTEF) est le parti du président de la république Diomaye Faye et est arrivé majoritairement en tête des dernières élections. Rien ne semble pouvoir freiner l’application stricte de leur programme pour les cinq prochaines années. La position de ce parti sur le phénomène migratoire sera donc celle du Sénégal sauf cas de force majeure. 

Le 27 septembre 2023, plus d’un an auparavant, le bureau exécutif du Mouvement national des cadres patriotes (Moncap), a exigé dans un communiqué que “la liberté d’aller et de venir des sénégalais dans des conditions dignes et sûres, soit considérée comme un droit sacré” alors que “des milliers de jeunes sénégalais au péril de leurs vies, se jettent par mer et désert dans des aventures d’émigration quasi suicidaires”. Le même communiqué a aussi rappelé qu’Ousmane Sonko avait insisté sur le fait que la migration constitue “un reflet de l’asymétrie des relations commerciales, du poids de la dette et de l’extraversion de nos économies” ; et qu’il s’est “courageusement et résolument positionné contre ces facteurs systémiques qui appauvrissent de manière chronique nos populations et font de l’émigration une irrésistible quête pour la jeunesse. C’est pourquoi nous les cadres patriotes réclamons que les droits humaines des migrants soient respectés, que la réciprocité soit au coeur de notre politique migratoire mais aussi que les intrusions de forces policières étrangères sur notre territoire à des fins de contrôle des aspirations à la migration qui mettent en péril leurs vies et leurs droits soient reconsidérées”. 

Cependant, un an plus tard, le 24 octobre 2024, le même Sonko en visite à Mbour débitait : “Ce sont les jeunes qui construisent un pays. Le Sénégal est un bon pays, mais il a été détruit par ceux qui nous ont dirigés. Aujourd’hui, vous avez confié le pays à des personnes compétentes, intègres et dignes. Vous n’avez donc pas le droit de fuir. Ce n’est pas du courage. Restez ici avec nous, car nous pouvons développer ce pays en peu de temps (…) Nous ne vous laisserons pas prendre des pirogues pour quitter ce pays. Restez ici et vous réussirez. Vous avez les dirigeants que vous attendiez ; soutenez-nous, et nous allons développer ensemble le Sénégal, malgré ceux qui ont dilapidé ses ressources”.

Il s’est fallu d’un an pour que le PASTEF reprenne le discours de Macky Sall sur l’émigration. S’il était lucide sur les causes structurelles et l’influence de l’UE dans le phénomène migratoire, l’épreuve du pouvoir semble avoir fait tourner le vent et les girouettes avec lui. Malgré que cette dernière campagne ait massivement évité le sujet de la migration, le PASTEF porte en lui un récit euro-compatible. Par ailleurs, c’est pour cette raison que nous avons décidé de faire notre caravane pour les disparus au moment de la campagne électorale : pour pouvoir produire un discours réaliste et respectueux des droits humains sur la migration qui était absent des débats publics. Nous en appelons sincèrement aux députés et au président de la république de reconsidérer leur position et de revenir à leur analyse et propositions de quand ils étaient encore dans l’opposition. 

Takku Wallu Sénégal

La coalition politique libérale de l’ancien président Macky Sall n’a rien proposé de concret sur la migration lors de cette campagne. Elle n’a réussi à faire élire que 16 députés dans cette législature, un nombre insuffisant pour peser quelque peu dans le processus décisionnel. Cependant, il est bon de rappeler la position de cette coalition qui était au pouvoir il y a encore 2 mois. 

 

Lors de la présidentielle de Macky Sall, le nombre de départs a explosé du fait de la répression de l’opposition et des droits humains des sénégalais. La marine nationale a intercepté 9 141 candidats à l’émigration lors des sept derniers mois de 2023 et a laissé la Guardia Civil opérer aux large des côtes sénégalaises et mauritaniennes. Les exilés interceptés le 20 août 2023 ont été remis aux autorités sénégalaises et la DNLT (Division du lutte contre le trafic de migrants et pratiques assimilées) en a identifié 8 et les a poursuivi pour associations de malfaiteurs, complicité de trafic de migrants par voie maritime et mise en danger de la vie d’autrui. Le gouvernement sénégalais participait ainsi pleinement à la politique d’externalisation des frontières européennes en empêchant les départs et criminalisant sa propre population plutôt que de lutter pour la reconnaissance de leurs droits et contre les causes structurelles de migration.

 

Les autres coalitions Jàmm ak Njariñ et Sàmm Sa Kàddu (arrivées respectivement 2ème et 3ème) n’avaient pas non plus de programme sur la migration et ne possèdent pas assez de députés pour pouvoir avoir quelconque pouvoir. Un parti retient cependant notre attention, même s’il n’a pu faire élire qu’un seul député.

Jël Linu Moom – Les nationalistes

Avec l’élection de Tahirou Sarr, la xénophobie et la préférence nationale ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale. Seul député à avoir fait campagne autour du thème de l’immigration et à grand renfort de polémiques, il promeut la fermeture des frontières et l’interdiction de propriété foncière pour les étrangers. Selon lui, la présence étrangère, notamment guinéenne, “nuit à la sécurité” et “réduit les salaires”. Elle serait ainsi la cause première de l’accélération des départs en pirogues. 

En plus de mentir sur les causes structurelles de l’émigration, le parti des nationalistes ne propose aucune solution si ce n’est de fermer les frontières terrestres du Sénégal avec les autres pays membres de la CEDEAO, niant encore plus le droit à la liberté de circulation des êtres humains. Son discours anti-immigration et incitant à la haine raciale ne peut que diviser encore plus la classe travailleuse du Sénégal. En les détournant des véritables causes et en privant de leurs droits fondamentaux une partie de la population, le programme et surtout le discours de M. Sarr ne peut mener que vers de graves troubles – comme ceux qui ont été les conséquences désastreuses de la “crise de l’Ivoirité”. 

La liberté de circulation est un droit humain. Il n’est pas le droit des européens ou des sénégalais mais toutes et tous. L’Europe veut en priver les africains, Sarr veut en priver les non-sénégalais, même combat. Les droits s’obtiennent par la lutte. Le PASTEF avait promis des mesures, rappelons-leur ! 

Décembre 2024

Sources : 

  • dakaractu.com
  • migration-control.info
  • pressafrik.com
  • sudquotidien.sn
  • ndarinfo.com
  • lemonde.fr